Suppression de rente pour fibromyalgie

Jurisprudence | Assurance invalidité

Suppression de rente pour fibromyalgie

Résumé Dame A, au bénéfice d’une rente pour fibromyalgie depuis août 2003, subit une expertise en 2013. Il en ressort une capacité de travail de 70%, malgré ses plaintes concernant fatigue, troubles musculaires et douleurs. Par conséquent, l’Office AI supprime sa rente pour  le 1er mars  2015. Dame A fait recours. Elle produit alors un rapport médical daté du 12 mars 2015, attestant l’existence d’une sclérose en plaques ; de plus son médecin traitant certifie que l’évolution négative de son état de santé depuis 2005 est certainement due à cette maladie. Toutefois, prétextant que le rapport médical est postérieur à la décision de suppression de rente, le Tribunal cantonal de Fribourg refuse de le considérer et renvoie Dame A à déposer une nouvelle demande de prestations d’invalidité. Dame A, qui estime qu’il fallait tenir compte de son état de santé au moment de la révision de la rente, saisit le Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison. Bien que le diagnostic soit postérieur à la décision de supprimer la rente, il ne fait aucun doute que la maladie existait au moment où la rente a été supprimée. Il n’était dès lors pas possible d’exclure que la sclérose en plaques puisse être à l’origine des plaintes élevées par Dame A lors de l’expertise. Les experts, qui se sont prononcés sans connaître ce diagnostic, n’ont pas pu évaluer correctement la capacité de travail de Dame A. Or le réexamen d’une rente octroyée en raison d’une fibromyalgie oblige à tenir compte de la situation qui prévaut au moment de la décision. Estimant que l’existence d’une sclérose en plaques pouvait expliquer l’aggravation de l’état de santé constatée par le médecin traitant, le TF juge que la suppression de la rente n’était pas justifiée à ce stade. Il renvoie donc la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision. Commentaire Ce n’est pas la première fois que les règles concernant la révision d’une rente octroyée pour fibromyalgie sont appliquées à la légère (voir 9C_517/2016) et sans souci de respecter scrupuleusement les dispositions finales de la 6e révision de l’AI. Heureusement que le TF met de l’ordre dans cette mauvaise volonté administrative manifeste,  lorsqu’un-e optimiste ou un-e désespéré-e se risque jusqu’à lui. Références 9C_34/2017 du 20 avril 2017

Prestations de l’AI et toxicodépendance : changement de jurisprudence

Jurisprudence | Assurance invalidité

Prestations de l’AI et toxicodépendance : changement de jurisprudence

Résumé
Sieur A, dépendant aux benzodiazépines et aux opiacés, a déposé une demande à l’Office AI (ci-après OAI) du canton de Zürich. Fin avril 2017 une expertise l’invite à poursuivre son accompagnement thérapeutique et à réduire sa consommation de benzodiazépine au nom de son obligation de collaborer. Le 22 février 2018 la rente lui est refusée au motif qu’il souffre d’une dépendance primaire*, non reconnue par l’AI. Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui modifie sa jurisprudence sur les toxicomanies primaires, admet son recours et lui octroie une rente entière de durée indéterminée. Pour cela le TF abandonne l’idée selon laquelle une personne dépendante est responsable de son état et donc présumée capable de surmonter sa dépendance et l’incapacité de travail qui en découle par un effort de volonté, un sevrage étant toujours possible.
En effet, après avoir examiné la littérature médicale le TF arrive à la conclusion que la dépendance est une maladie, qu’elle n’est pas imputable à un manque de diligence de l’assuré et qu’un sevrage n’est pas toujours la meilleure solution. Il s’ensuit que l’incapacité de travail qui résulte de la dépendance doit être examinée selon les critères objectifs qui s’appliquent aux autres maladies psychiques : il faut déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (ATF 141 V 281) si et jusqu’à quel point la dépendance influence la capacité de travail. En passant le TF rappelle qu’une personne dépendante, comme toute personne souffrant d’un trouble psychique, reste soumise à l’obligation de limiter le dommage de l’assurance en participant activement aux traitements raisonnablement exigibles et en mobilisant ses ressources pour résister au besoin de consommer, faute de quoi la rente pourrait être réduite ou refusée.
En l’espèce Sieur A a droit à une rente du fait de son incapacité durable de travail. Reconnaissant que la réduction de benzodiazépine, médicalement exigible selon l’expert, ne pourra pas être réalisée dans un délai déterminable le TF octroie la rente pour une durée indéterminée. Sieur A est toutefois encouragé à poursuivre l’accompagnement thérapeutique et à réduire les benzodiazépines : le succès de ses efforts sera apprécié lors d’une future procédure de révision.

*On parle de dépendance primaire lorsque celle-ci n’est ni la cause ni la conséquence d’une maladie.

Commentaire
S’il faut saluer une jurisprudence qui aligne l’analyse juridique sur la réalité médicale en reconnaissant à la dépendance valeur de maladie ouvrant le droit à une rente, on peut toutefois craindre que l’effort de volonté exigé par l’AI au titre de l’obligation de réduire le dommage après octroi d’une rente ne facilite guère la vie aux personnes dépendantes : sortie par la grande porte du changement de jurisprudence, l’exigence de réduction de la consommation de drogues pourrait bien revenir par la fenêtre.

Références
9C_724/2018 (en allemand) publié aux ATF 145 V 215
https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?lang=fr&type=show_document&highlight_docid=aza://11-07-2019-9C_724-2018
Communiqué de presse du Tribunal fédéral (en français)
https://www.bger.ch/files/live/sites/bger/files/pdf/fr/9C_724_2018_2019_08_05_T_f_07_48_12.pdf

Suppression de rente suite à des mesures de surveillance, exploitation des preuves obtenues sans base légale

Jurisprudence | Assurance invalidité

Suppression de rente suite à des mesures de surveillance, exploitation des preuves obtenues sans base légale

Résumé
Dame A est au bénéfice d’une rente pour des troubles somatiques et psychiques depuis le 14 avril 2005. En réponse à un questionnaire de l’AI concernant une reprise d’activité ou l’opportunité de réaliser des mesures de réadaptation, Dame A déclare ne pas pouvoir exercer d’activités à cause de ses limitations physiques et psychiques. Une surveillance est alors mise en place par le Secteur de lutte contre la fraude à l’assurance durant trois jours en novembre 2015. Deux rapports d’observation, principalement constitués de photographies, sont soumis au Service médical régional qui en déduit une amélioration de la situation médicale de Dame A. L’Office AI (ci-après OAI) supprime la rente avec effet au 1er octobre 2014 et réclame la restitution de 29’868 CHF.
Dame A recourt devant le Tribunal cantonal de Neuchâtel qui lui donne raison.
L’OAI saisit le Tribunal fédéral (ci-après TF) qui le déboute.
Le TF estime que même si, faute de base légale, la surveillance viole le droit au respect de la vie privée la preuve qui en résulte peut être exploitée à certaines conditions. Toutefois, un rapport de surveillance ne permet pas, à lui seul, de juger de l’état de santé ou de la capacité de travail ; il doit être soumis à l’évaluation d’un médecin, ce qui a été fait en l’espèce. De plus, des photographies ou des vidéos ne permettent pas de conclure à l’amélioration d’un trouble de la personnalité (borderline et narcissique en l’occurrence) et d’un trouble dépressif récurrent, car l’intensité d’un trouble dépressif peut varier dans le temps.
La cause est donc renvoyée au Tribunal cantonal de Neuchâtel pour instruction complémentaire.

Commentaire
Soupirons de soulagement à cette expression du simple bon sens : une photo ne permet pas de poser un diagnostic de maladie psychique. Et tremblons de savoir que les OAI se croient capables, sur simple photo, de juger de l’effet d’un trouble psychique sur la capacité de travail.

Références
9C_342/2017 du 29 janvier 2018

 

Aggravation de l’état de santé après une décision de refus de rente

Jurisprudence | Assurance invalidité

Aggravation de l’état de santé après une décision de refus de rente

Résumé
Une première demande AI déposée par Dame A en juillet 2011 est rejetée le 22 août 2013 : dans son rapport du 30 août 2012 l’expert B avait constaté une baisse de rendement mais estimait que celui-ci pouvait atteindre 100% moyennant un traitement antidépresseur et un suivi psychiatrique.
En mars 2014 Dame A dépose une nouvelle demande. Mandaté par l’AI, l’expert B reconnait une péjoration du trouble obsessionnel compulsif et atteste une incapacité de travail de 50 % depuis le début de l’année 2013. L’office AI (ci-après OAI) rejette néanmoins la demande de rente estimant que la péjoration de l’état de santé est en lien direct avec le traitement inadéquat suivi par Dame A.
Sur recours, le Tribunal fédéral (ci-après TF) reconnait le droit de Dame A à une demi rente.
Sur la forme, l’aggravation de l’état de santé de Dame A depuis le début de l’année 2013 est un fait nouveau qui s’est produit avant la décision de refus de rente du 22 août 2013 et qui n’a pas servi de base à cette décision.  Apprenant ce fait nouveau en août 2014, l’OAI aurait dû procéder à une révision d’office sur la base de l’article 53 loi sur la partie générale des assurances sociales (ci-après LPGA). Il aurait ainsi constaté que Dame A remplissait les conditions du droit à une rente (incapacité de travail de 40% au moins en moyenne durant une année sans interruption notable) depuis juillet 2013.
Sur le fond, le fait qu’une atteinte à la santé psychique puisse être influencée par un traitement ne suffit pas, à lui seul, pour nier le caractère invalidant de celle-ci. L’OAI doit déterminer, dans le cadre d’un examen global, si la limitation établie médicalement empêche objectivement la personne assurée d’effectuer une prestation de travail. En l’espèce le recours inadéquat de Dame A aux options thérapeutiques préconisées par l’expert B s’efface par rapport au degré de gravité des symptômes et des limitations fonctionnelles dont elle souffre: compulsions prenant au moins 4 heures par jour et occasionnant fatigue et perte de temps ; retentissement significatif dans les activités quotidiennes et le ménage provoquant un isolement social ; fortes réactions émotionnelles et attitude renfermée compromettant l’intégration dans une équipe de travail ; impossibilité à nouer des relations à long terme.
Le TF termine en rappelant que pour supprimer ou réduire une rente au motif que l’ayant droit n’a pas suivi les mesures thérapeutiques préconisées ou envisageables il faut respecter une procédure de mise en demeure (article 21 al. 4 LPGA), ce qui n’a pas été le cas pour Dame A. Dans la foulée il ne se prive pas de rappeler à Dame A que rien n’empêche l’OAI d’attirer son attention sur son obligation de diminuer le dommage en lien avec les possibilités thérapeutiques mises en évidence par l’expert…

Commentaire
L’issue de cette procédure est favorable à l’assurée et c’est tant mieux. Toutefois l’obligation de suivre un traitement destiné au maintien de la capacité de travail devrait être analysée par le TF en termes de droits de l’homme comme une grave atteinte à la liberté personnelle garantissant le libre choix du traitement. Dans cette optique, le but poursuivi, qui est de refuser une prestation d’assurance jugée coûteuse, ne devrait pas permettre de contraindre une personne à suivre un traitement préconisé par un expert dans un but économique et non pas par un soignant dans un but curatif.

Références
9C_142/2018 du 24 avril 2018

Querelle d’experts et importance des facteurs extra médicaux dans l’évaluation de l’invalidité

Jurisprudence | Assurance invalidité

Querelle d’experts et importance des facteurs extra médicaux dans l’évaluation de l’invalidité

Résumé
Sieur A s’adresse à l’Office AI (ci-après OAI) en 2004, puis en 2010, car il souffre de lombo-sciatalgie et d’un état dépressif ; les deux demandes sont successivement rejetées par l’OAI qui privilégie l’expertise du Docteur B sur celle des autres médecins. En 2014, invoquant une aggravation de son état somatique et psychique, Sieur A redépose une demande. Celle -ci est à nouveau rejetée sur la base d’un complément d’expertise du Docteur B, pourtant contredit par les docteurs C et D. Sieur A demande au Tribunal cantonal (ci- après TC) d’annuler cette décision de refus et d’ordonner à l’OAI de mettre en œuvre une expertise rhumatologique et psychiatrique pour trancher entre les avis médicaux divergents ; le TC rejette sa demande. Sieur A s’adresse alors au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui estime que le jugement cantonal est arbitraire et lui renvoie la cause pour qu’il ordonne une expertise et rende un nouveau jugement.
Le TF constate que, en présence deux expertises contradictoires fouillées, contenant des analyses circonstanciées sur lesquelles les deux experts se sont exprimés oralement de manière consciencieuse et approfondie par des considérations strictement médicales relevant de leur domaine de compétence le TC ne pouvait pas trancher la querelle d’experts par une simple allusion au caractère « fiable » du rapport du docteur B.
De plus, le TC avait estimé, de son propre chef et sans en indiquer les raisons, que les difficultés de Sieur A provenaient, de façon prépondérante, de facteurs extra médicaux : exagération des plaintes, réticence à accepter un traitement, faible motivation à reprendre une activité et situation personnelle précaire. Le TF rappelle que lorsque des facteurs psychosociaux et socio culturels sont présents, l’évaluation médicale est d’autant plus importante pour apprécier la mesure dans laquelle ces facteurs externes à l’invalidité sont ou non au premier plan. Or, en l’espèce, tous les médecins avaient lié l’incapacité de travail à un substrat médical et non pas à de quelconques facteurs étrangers à l’invalidité. Le TC ne pouvait donc pas nier l’influence du substrat médical sans sombrer dans l’arbitraire.

Commentaire
Le refus de prestations pour des difficultés psychosociales considérées comme extra médicales frise l’absurde et la violence institutionnelle lorsque les difficultés mises en exergue pour nier le droit à une rente sont intimement liées à la pathologie psychique dont souffre la personne concernée. La séparation volontariste du social et de la santé oblige le TF à une gymnastique toujours plus acrobatique…

Références
9C_848/2017 du 29 mai 2018

Communication obligatoire du nom de l’expert

Jurisprudence | Assurance invalidité

Communication obligatoire du nom de l’expert

Résumé
Dans le cadre d’une procédure fleuve concernant une demande AI, Sieur A a dû se soumettre à une expertise bidisciplinaire du CEMed, à Nyon. La date de l’examen ainsi que les noms des médecins examinateurs, les docteurs B et C, lui ont été communiqués sans que Sieur A ne s’y oppose. Le rapport rendu par le CEMed a permis à l’office AI (ci-après OAI) de nier le droit à une rente.
Sieur A recourt au Tribunal fédéral (ci-après TF) demandant à ce que l’expertise soit écartée du dossier au motif qu’un tiers médecin avait participé à l’expertise sans que son nom ne lui ait été communiqué. En effet, l’expertise signée des docteurs B et C, indique que le dossier a été analysé et résumé par un médecin ne participant pas aux examens et que le document final a été soumis en dernière relecture à un médecin expert n’ayant pas examiné Sieur A.
Le TF donne partiellement raison à Sieur A et renvoie la cause à l’OAI pour que le nom du ou des médecins qui ont assisté les docteurs B et C soient communiqués à Sieur A afin qu’il puisse se prononcer sur un éventuel motif de récusation.
Dans cette affaire, le TF rappelle que l’expert au sens de l’article 44 LPGA* est la personne physique qui élabore l’expertise et dont le nom doit être communiqué à l’assuré pour lui permettre de savoir s’il a un motif de récusation. De plus, en sa qualité de mandant, l’OAI a droit à ce que l’expertise soit effectuée par la personne mandatée. L’obligation d’exécuter personnellement le mandat d’expertise n’exclut cependant pas que l’expert recoure à l’assistance d’un auxiliaire qui agit selon ses instructions et sous sa surveillance, pour effectuer des tâches secondaires, techniques, de recherche, de rédaction, de copie ou de contrôle. Mais il reste essentiel que l’expert mandaté accomplisse personnellement les tâches fondamentales d’une expertise qui ne peuvent pas être déléguées, à savoir : prise de connaissance du dossier dans son ensemble et analyse critique, examen de la personne, travail intellectuel de réflexion. Résumer un dossier médical comprend une telle marge d’interprétation (car le résumé sélectionne des dates, informations et données déterminantes pour l’auteur du rapport) que cette activité ne saurait être considérée comme une tâche auxiliaire. Ainsi, le nom du médecin qui établit l’anamnèse ou le résumé du dossier ou qui relit l’expertise afin d’en assurer la pertinence formelle doit être communiqué au préalable à l’assuré.

*Loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales 830.1

Commentaire
La juteuse activité d’expert, qui occupe les tribunaux quand elle s’exerce au détriment des assurés et au mépris de la plus élémentaire droiture, commence également à préoccuper le Département fédéral de l’intérieur et ce n’est pas trop tôt !
Cela étant, cette affaire illustre la façon dont la segmentation des tâches et l’anonymisation des responsabilités permettent à chacun-e de donner droit à sa lâcheté tout en se regardant complaisamment dans le miroir. Il était donc temps que le TF freine cette inquiétante fabrique d’expertises.
Ce qui reste navrant c’est que l’argent des assurés puisse ainsi servir à payer très cher des expertises sans valeur.

Références
9C_413/2019 du 4 décembre 2019 publié aux ATF146 V 9