Jurisprudence | Assurance invalidité

Prestations de l’AI et toxicodépendance : changement de jurisprudence

Résumé
Sieur A, dépendant aux benzodiazépines et aux opiacés, a déposé une demande à l’Office AI (ci-après OAI) du canton de Zürich. Fin avril 2017 une expertise l’invite à poursuivre son accompagnement thérapeutique et à réduire sa consommation de benzodiazépine au nom de son obligation de collaborer. Le 22 février 2018 la rente lui est refusée au motif qu’il souffre d’une dépendance primaire*, non reconnue par l’AI. Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui modifie sa jurisprudence sur les toxicomanies primaires, admet son recours et lui octroie une rente entière de durée indéterminée. Pour cela le TF abandonne l’idée selon laquelle une personne dépendante est responsable de son état et donc présumée capable de surmonter sa dépendance et l’incapacité de travail qui en découle par un effort de volonté, un sevrage étant toujours possible.
En effet, après avoir examiné la littérature médicale le TF arrive à la conclusion que la dépendance est une maladie, qu’elle n’est pas imputable à un manque de diligence de l’assuré et qu’un sevrage n’est pas toujours la meilleure solution. Il s’ensuit que l’incapacité de travail qui résulte de la dépendance doit être examinée selon les critères objectifs qui s’appliquent aux autres maladies psychiques : il faut déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (ATF 141 V 281) si et jusqu’à quel point la dépendance influence la capacité de travail. En passant le TF rappelle qu’une personne dépendante, comme toute personne souffrant d’un trouble psychique, reste soumise à l’obligation de limiter le dommage de l’assurance en participant activement aux traitements raisonnablement exigibles et en mobilisant ses ressources pour résister au besoin de consommer, faute de quoi la rente pourrait être réduite ou refusée.
En l’espèce Sieur A a droit à une rente du fait de son incapacité durable de travail. Reconnaissant que la réduction de benzodiazépine, médicalement exigible selon l’expert, ne pourra pas être réalisée dans un délai déterminable le TF octroie la rente pour une durée indéterminée. Sieur A est toutefois encouragé à poursuivre l’accompagnement thérapeutique et à réduire les benzodiazépines : le succès de ses efforts sera apprécié lors d’une future procédure de révision.

*On parle de dépendance primaire lorsque celle-ci n’est ni la cause ni la conséquence d’une maladie.

Commentaire
S’il faut saluer une jurisprudence qui aligne l’analyse juridique sur la réalité médicale en reconnaissant à la dépendance valeur de maladie ouvrant le droit à une rente, on peut toutefois craindre que l’effort de volonté exigé par l’AI au titre de l’obligation de réduire le dommage après octroi d’une rente ne facilite guère la vie aux personnes dépendantes : sortie par la grande porte du changement de jurisprudence, l’exigence de réduction de la consommation de drogues pourrait bien revenir par la fenêtre.

Références
9C_724/2018 (en allemand) publié aux ATF 145 V 215
https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?lang=fr&type=show_document&highlight_docid=aza://11-07-2019-9C_724-2018
Communiqué de presse du Tribunal fédéral (en français)
https://www.bger.ch/files/live/sites/bger/files/pdf/fr/9C_724_2018_2019_08_05_T_f_07_48_12.pdf